« Tu es une femme maintenant ? »

« Tu es  une femme maintenant ? » 

Témoignage d’un viol correctif transphobe

Par Elsa

On est début janvier, je revenais d’un voyage en Ecosse, j’avais mis dans les bagages le plein de bonnes humeurs et de forces pour affronter le monde extérieur. Ce monde cis-normé qui m’use la vie, mais à qui j’accorde de mon temps pour lui expliquer en quoi il est le moteur d’une domination systémique envers les personnes comme moi, les personnes trans.

On est le 10 janvier, des connaissances papotent sur le net de leur premier plan cul de 2014. D’habitude je me moque d’être dans ce genre de discussion, d’habitude ce n’est pas mon truc. Eh bien ce jour ci, j’avais envie d’avoir moi aussi de quoi raconter. Je décide donc de me trouver un mec sur le net. En moins de deux heures, le mec est trouvé. 36 ans, plutôt mignon, bi, marié, voulant se faire un plan avec un mec. Je ne prends pas le temps de lui expliquer en détails que je suis une femme trans, il le sait par mon pseudo et il a l’air de s’en foutre. Il veut un corps masculin, j’en ai encore un, qu’il en profite.

On est le 10 janvier, il est 17h. J’ai rdv à un hôtel à 10 min en voiture de chez moi. Je sais que le mec est déjà dans sa chambre. Ça fait 20 minutes que je doute dans ma voiture. Je me rassure qu’il ne se passera rien d’autre que ce qui est prévu, et que de toutes façons, je peux toujours partir si le mec est transphobe ou dangereux. Je claque la porte de ma voiture, je me lance.

On s’échange nos prénoms, il bloque un peu sur le mien. Tocard. « Tu es très mignon » m’a-t-il sorti. Je prends le temps de le corriger : « mignonne ». Il s’excuse en vitesse. « Je n’ai jamais testé les trav ». Re-tocard. Visiblement, il n’y a pas grand-chose à attendre de ce mec. Je le pousse à commencer la baise, au moins il s’y taira. Je monte le son de la télévision, une chaine musicale, ça couvrira nos bruits et réduira les risques de se faire emmerder par le personnel de l’hôtel. On se lance.

Le mec est un peu brutal, dominateur et n’est qu’actif. Ça ne me pose aucun problème, ces détails avaient été validés avant. Il est plutôt doué au lit, le moment se passe assez bien, même si je note qu’il me genre plusieurs fois au masculin. Je passe pour cette fois, ça fait plusieurs fois que des mecs en pleine action oublient que je reste une femme, même si j’ai un appareil génital masculin. Il a fini. Ouf.

Il semble énervé. Nerveux. Je mise sur le fait qu’il n’a pu éjaculer, mais ça reste son problème et en rien le mien. Il commence à me parler, de sa femme. Il me dit qu’elle est une « vraie femme », qu’ils aiment bien sortir au quai, le bar lesbien de ma ville. J’en profite pour lui dire que je suis également une femme, à tenter de lui dire que « trav » n’est pas un terme qui me convient. Il me coupe, se lève. Je pense alors qu’il veut repartir pour un tour. Ça me surprend. Il semble bien plus déterminé que moi, et bien plus puissant que précédemment. Il se lance.

On est le 10 janvier, il est 17h et peut être 40 minutes. Punaise, ça part en live, il est tellement énergique, il me fait peur, je ne contrôle plus rien. Il me bouge dans tous les sens. Je bloque complet, je n’ose plus le contredire. Il faut que ça finisse. Je crains tellement que ça reparte comme pour mon premier viol correctif de 4 ans plus tôt. Ce connard m’avait bloquée en m’attachant. Je me tétanise, j’obéis par peur que tout reparte comme ave le connard précédent. Quelle connerie. J’ai mal, il me bouscule, me traine dans la salle de douche. « T’es une femme toi ? » me lance-t-il avec un regard de haine. Je comprends que je vais morfler.

Je ne sais plus vraiment comment je me retrouve dans cette position. La tête appuyée au sol. L’arrière présenté au violeur. Il pénètre. J’ai mal. Je sers des dents, j’ai peur. Je me débats en bougeant les jambes, c’est inutile, il me tient. Si j’hurle, j’ai peur qu’il me tue. Je suis à nouveau bloquée. Mon cerveau se déconnecte. Il pénètre. Ce n’est pas son sexe, c’est son avant-bras. Quelle horreur. Je tente de faire mon possible pour que tout n’explose pas. J’ai tellement mal, si mal que rien ne sort de ma bouche. Tout reste à l’intérieur. L’âme se brise. J’essaie de ne pas me contracter et je suis tendue comme jamais. Je le sens, il est dedans. Je me détruis. Ça saigne. Punaise. Il y a du sang. Du sang.

Le connard a fini. Il ouvre la douche, nettoie son bras. Il me regarde, roulée en boule à ses pieds, sort son sexe, m’urine dessus. Je suis au plus bas. Le temps redémarre. Il sort de la douche, se retourne : « tu es une femme maintenant ? » Il s’installe sur le lit, s’habille un peu. Il semble s’être calmé. Je quitte la douche, me rhabille dans un coin de la chambre et sort en vitesse de cet endroit.

On est le 10 janvier, il est 18h. Je suis dans ma voiture, j’ai mal. Je n’ai aucune trace extérieure de l’agression, seulement une forte douleur intérieure. J’envoie un sms à un ami, je rentre chez moi.

J’ai mis plus d’un mois à réaliser que ce j’ai vécu ici s’appelle un viol. Punaise ça crève les yeux. Je culpabilise de m’être bloquée, de n’avoir pas eu le courage d’hurler, d’appeler à l’aide, de lui défoncer le crane avec le premier objet à ma portée. La douleur est encore là. Je vais mal, je n’arrive plus à faire autant de choses qu’avant. Je commence à m’enfermer dans mon existence, vois peu de monde, commence à avoir peur de tout.

Nous sommes le 13 septembre. Je suis encore incapable de travailler. Cela fait 9 mois. Les douleurs sont encore là. Je saigne encore. Les trois derniers passages à l’hôpital n’ont servi à rien et ont été particulièrement difficile à vivre. Je suis dans un état post traumatique lourd, accompagnée d’une dépression sévère. Les crises sont quotidiennes. Je doute que ce connard sache ce qu’il a fait. Après tout, je ne me suis pas débattue, je n’ai pas tenté de me défendre, c’est que je devais être consentante à ses yeux.

« Tu es une femme ? » Oui, une femme trans et j’en paie les conséquences. Je suis encore là.

La transphobie tue.

E.

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